Se différencier 2/3 : quels freins ?

Comme abordé dans le premier volet de cet article, se différencier est un processus indispensable au développement du Vivant. Aussi, ce deuxième volet identifie des freins à ce processus de différenciation.

Des freins au processus de différenciation

  • une relation au monde muette,
  • un attachement insécure,
  • une faible estime de soi,
  • une impossibilité de contacter l’énergie du désaccord,
  • des angoisses existentielles,
  • des perceptions indifférenciées ou même une absence de ressentis.

De quoi peut-être cheminer…

Une relation au monde muette

resonance

Pour se différencier dans le contact avec ce qui nous entoure, notre environnement, il est nécessaire de résonner, vibrer à celui-ci. Et c’est le contact qui est la réalité première la plus simple de cette résonance. Mais pour cela il faut être deux : l’individu et son environnement (= une autre personne, un groupe, une équipe, une société, etc).

Du coté de l’individu

Du coté de l’individu, l’échec de la relation peut venir d’une fermeture ou d’un durcissement du regard porté sur ce qui nous entoure. Le corps ne perçoit plus le monde et sa façon d’y réagir diminue. Il perd sa vitalité. Et c’est bien par le corps que nous vivons la réalité du monde. L’étouffement émotionnel nous tourne vers l’intérieur. Une activité mentale exagérée se substitue au contact avec le monde réel. Dans ce cas, il s’agit de rétablir le lien avec le corps, les sensations, les émotions, le sensible.
Mais le rapport au monde peut aussi, à l’inverse, être empêché par une ouverture trop radicale. C’est à dire que nous sommes comme un instrument de musique sans fréquence propre, réduit à une fonction d’écho du monde. Et dans ce cas, nous vivons une dispersion. Nous perdons en quelque sorte notre propre voix, nos contours.
Ici, il s’agira alors de soutenir cette part en nous qui choisit, qui prend ou rejette, qui peut ensuite s’engager dans l’action en fonction de nos choix et renoncements.

Du côté du monde

De la même façon, du côté du monde, les relations résonantes échouent quand celui-ci s’avère tout entier durci, figé, rigidifié, chosifié. Par exemple l’individu peut vivre cela au contact d’une machine (ou d’un chatbot virtuel) qui fait office d’interlocuteur en lieu et place d’un être humain.
De même, quand les mouvements du monde sont tellement imprévisibles et chaotiques, il n’est plus possible d’y résonner, de pouvoir être en relation avec. En effet, l’individu ne peut plus discerner dans la cacophonie ambiante ni fréquence, ni voix capable se de se faire entendre.

Ainsi, tant le contexte social, sociétal, environnemental que l’individu influent sur la possibilité d’être en relation.

Un attachement insécure

Il existe un système de couplage entre les comportements d’attachement et les comportements d’exploration. Se différencier est une forme d’exploration qui nécessite un minimum de sécurité intérieure et de qualité des liens d’attachement.

Le système d’attachement fait partie des enjeux développementaux majeurs. Les situations de stress interne (douleur, tristesse, peur, etc) ou externe (solitude, stimuli effrayants, etc) l’activent, le mettent en alerte. A partir de ses premiers liens et de ses expériences en situation de stress, l’individu se construit simultanément un modèle de soi comme étant plus ou moins digne d’amour et une perception des autres comme étant plus ou moins attentifs et sensibles à ses besoins. Cette construction évolue au fil des nouvelles expériences avec des figures d’attachement.

Si se différencier fait perdre la sécurité du lien avec l’autre par peur du rejet ou de l’abandon, alors se différencier devient difficile.

Une estime de soi défaillante

estime de soi

L’estime de soi est en quelque sorte un tabouret à quatre pattes interdépendantes qui sont :

  • la perception de soi dans ce que l’on est : notre corps, nos besoins, nos désirs, nos forces et faiblesses etc,
  • l’acceptation de soi,
  • la confiance en soi basée sur nos savoir-faire,
  • L’amour de Soi renvoie à ce que l’on est, à une part de nous inaliénable, à l’essence même de la Vie.

Ce tabouret est dynamique au sens où il se modifie en permanence.

Très tôt l’enfant ne peut se différencier par une forme d’effet miroir vécu au contact de ce qui l’entoure.
Quand le parent investit son enfant comme une part de lui-même, et non comme un être singulier, en devenir, distinct, il ne peut le voir, le reconnaitre pour ce qu’il est.
Sans en avoir conscience, il peut chercher à le façonner, le tyranniser, à encourager exagérément ses prouesses. Si l’enfant ne répond pas aux attentes, le parent peut être immensément déçu, blessé ou encore intensément furieux. Alors, progressivement l’enfant, et plus tard l’adulte, ne perçoit plus ses besoins. Il n’a plus de désir et développe une façade pour montrer à son environnement combien il est une bonne personne. Le tabouret de l’estime de soi ne tient plus que sur la patte du « faire », souvent investie à l’excès dans une attitude perfectionniste illusoire et destructrice, où le sujet donne l’impression de jouer sa vie dans les situations de « faire ».

Une impossibilité de contacter l’énergie du désaccord

La qualité d’une relation est exactement proportionnelle à la possibilité de se différencier de l’autre dans le lien. Plus l’amour est sur un versant fusionnel, plus il est destructeur. Il ne laisse à l’autre aucun espace pour trouver sa place, sa différence, son droit à être et à désirer.

La coutume est de dire que l’amour unit là où le désaccord fait perdre l’être aimé. Mais sans conscience du désaccord, l’amour fait perdre aussi l’être aimé par impossibilité de se distinguer de lui. Le désaccord inclut des espace de haine. Sans place pour le désaccord, l’amour n’est que confusion, et par des chemins inévitables, bien qu’indirects, il sépare, il détruit, il provoque de la violence. Ainsi, se différencier est un travail de liaison de la haine à un amour qui se vit comme le plus fort, permettant de trouver une distance juste à l’autre et à soi-même.
« L’amour n’est pas un sentiment attaché au Je et dont le Tu serait le contenu ou l’objet ; il existe entre le Je et le Tu. Quiconque ne sait pas cela, et ne le sais pas de tout son être, ne connait pas l’amour ». (M. Buber)

L’agressivité au sens d’aller vers l’autre pour nommer son désaccord, est par nature bénéfique et au service de la vie. Ce n’est pas l’agressivité mais son inhibition dans la personnalité qui provoque impuissance, explosions de violence ou au contraire absence de sensibilité et de vitalité. C’est bien une succession de oui et de non qui façonne la personnalité saine.

Des angoisses existentielles

Pour Irvin Yalom, la tâche visant à satisfaire, d’une part le besoin de protection, de fusion, d’un sauveur ultime, et d’autre part, le besoin de séparation et d’autonomie nous confronte à des angoisses qui gouvernent notre monde intérieur. Le lien dans une relation fusionnelle n’est quelque fois pas tant centré sur la relation que sur la terreur d’être seul. « Ce qui rend particulièrement terrifiant la solitude est l’absence de cet autre magique et puissant au-dessus de nous, qui nous observe, anticipe nos besoins, offre à chacun de nous un bouclier contre notre destin : la mort ».

Dans un mode de vie instauré par une peur de la mort, la personne reste imbriquée dans l’autre. Elle ne s’aventure pas vers le monde, vers ce qui l’appelle. Elle limite sa capacité à vivre de manière spontanée et créative. Un tel mode de vie la soumet au plus grand des périls : la perte de soi, l’échec de l’exploration et du développement des multiples potentiels qui sont en elle. Il s’agit d’une mort partielle.

Bien sûr, si la représentation de la mort n’est pas une fin définitive mais un passage, les angoisses existentielles ne prendront pas la même place. C’est tout l’espace des spiritualités et de la foi.

L’intérieur indifférencié

Au cours d’un scan corporel visant à observer attentivement ce qui se ressent dans le corps, on peut ne rien ressentir dans certaines parties de notre corps. Dans ces endroits qui lui sont en quelque sorte inaccessibles, la conscience peut partir ailleurs. La personne dira qu’elle rêvait, ou était dans une forme d’état modifié de conscience. Afin de percevoir clairement, notre attention, notre concentration, notre motivation ou notre désir doivent s’orienter activement vers ce que nous sommes censés percevoir. Cette orientation active structure l’interprétation des informations sensorielles, et sans cette orientation active la perception ne s’organise que médiocrement.

L’indifférenciation est aussi une conséquence importante des traumatismes, où la déconnexion du corps et de l’esprit est fréquente. Stimuler les sensations tactiles en orientant activement la conscience, par exemple sous une douche avec une eau tiède, aide à réunir corps et âme.

Pour aller plus loin

Cet article (volet 2/3) vous aura peut-être interpellé/e ? Je reçois sur rendez-vous (06.82.57.63.22) à mon cabinet ou par téléphone/ visio. Ma pratique thérapeutique se base sur la gestalt-thérapie mais pas seulement. Pour plus d’informations ou prendre contact par messagerie, consulter la page présentation.

Sources

Jeammet Nicole. La haine nécessaire. Presses Universitaires de France, 1989.
Miller Alice. Le drame de l’enfant doué : à la recherche du vrai soi. Presses universitaires de France, 2008.
Stern N. Daniel. Le monde interpersonnel du nourrisson. Presses universitaires de France, 2003.
Yalom Irvin. Thérapie existentielle. Galaade Editions, 2013.

Illustration mise en avant : Talavera mexicains


Reproduction autorisée de l’article sous réserve de respecter l’intégralité du texte et de citer la source www.psy-gestalt-nancy.com