Quand l’énergie se fige…

Les circonstances

Lorsqu’une menace surgit, notre niveau d’énergie s’accroit. Cette énergie vise à nous fournir les ressources nécessaires à la fuite ou au combat. Cependant, quand ces moyens de faire face au danger ne sont pas possibles, il y a figement. Le figement peut être à l’origine de symptômes traumatiques. Cette réaction est involontaire ; elle s’observe tant chez l’animal que chez l’homme. Elle trouve son origine dans les parties du cerveau qui gèrent les instincts, peu modifiées au cours de l’évolution.

Lorsque l’attaque cesse, un animal retrouve naturellement sa mobilité. Il tremble, semble chercher à se réorienter, titube, cherche son équilibre, poursuit son processus de tremblement pour finir par repartir.

Chez l’homme, le même processus existe. Mais, à la différence des animaux, l’homme peut en plus revivre le trauma par des représentations d’images ou de mots. L’impact des représentations est tel qu’elles peuvent quelquefois susciter une souffrance supérieure à celle vécue dans le réel.

Les symptômes traumatiques peuvent rester camouflés pendant des années après l’événement déclencheur. Ensuite, à l’occasion d’un stress ou autre incident, ils surgissent sans prévenir et sans lien apparent avec leur réelle origine.

Notre capacité à réagir efficacement face à un danger

Notre capacité à réagir efficacement face à un danger dépend de facteurs multiples. L’événement lui-même a un impact important mais d’autres facteurs interviennent. Ainsi, le soutien des proches, notre état de santé, le sens vécu de notre capacité à affronter le danger, les succès/échecs passés sont des éléments importants.

Le stade de développement et les compétences acquises sont aussi très influents. Par exemple, être laissé seul dans une pièce froide peut être catastrophique pour un bébé, effrayant pour un bambin, gênant pour un enfant de dix ans, et simplement inconfortable pour un adolescent ou un adulte. Ainsi, toute personne manquant d’expérience et de connaissances pour gérer une situation de danger est plus vulnérable. Pour cette raison, les réactions traumatiques s’enracinent souvent dans la petite enfance.

Qu’est-ce qui peut nous figer ?

Les causes sont nombreuses, évidentes ou… insoupçonnées. La liste suivante n’est pas exhaustive : traumatisme fœtal (intra-utérin), traumatisme de naissance, perte d’un proche, maladie, fortes fièvres, empoisonnement accidentel, abus sexuels, maltraitance physique ou psychologique, catastrophe naturelle, guerre, certains traitements médicaux et dentaires, l’anesthésie, l’immobilisation prolongée (plâtres ou attelles), la chirurgie, particulièrement les amygdalectomies, interventions sur l’oreille ou les yeux (strabisme).

Intellectuellement, nous pouvons croire au bien-fondé d’une opération. Mais à un niveau primitif, notre corps ne partage pas cette opinion. Et lorsqu’il s’agit de traumatismes, la perception du cerveau instinctuel a beaucoup de poids.

Les manifestations du traumatisme

L’énergie résiduelle non-libérée suite à une menace vitale persiste dans le corps au point de pouvoir provoquer une large variété de symptômes : anxiété, dépression, comportements destructeurs répétitifs, troubles psychosomatiques, etc. Mais les symptômes traumatiques sont autant physiologiques que psychologiques.

Sur le plan corporel

quand l énergie se fige
œuvre de Magritte

Corporellement, une conséquence importante du traumatisme est la déconnexion du corps et de l’esprit. La perte de sensations tactiles, l’incapacité à ressentir tout ou parties du corps sont des manifestations physiques fréquentes de cette déconnexion. Le vécu corporel peut devenir un miroir de notre traumatisme. Il peut aussi nous guider vers nos ressources instinctuelles car les symptômes du traumatisme contiennent l’énergie de leur transformation/guérison.

Cette transformation peut néanmoins être bloquée par des substances (suppression des symptômes), par le contrôle et l’adaptation (déni, invalidation des émotions, des sensations ressenties). Malheureusement, fuir, réprimer, dénier nos ressentis corporels peut empêcher la guérison.

Quelle évolution ?

Le traumatisme peut avoir deux issues. Quand l’énergie reste bloquée, le traumatisme peut mener au déni de la réalité, à la non intégration des sentiments, à un désir de vengeance, de retrait social ou une recherche du danger. Il fait de nous des individus prudents à l’excès et inhibés, ou bien il nous mène dans des cercles toujours plus étroits de répétition, de victimisation, et d’exposition irréfléchie au danger comme pour résoudre ce qui n’a pas pu l’être.

A l’inverse, quand l’intégration se fait, l’expérience traumatique est source d’acceptation de la réalité, de croissance personnelle, de créativité, de découverte chez soi et chez l’autre de ressources insoupçonnées.

L’intégration

Les ressentis corporels sont apparentés de près à la conscience. Être conscient signifie vivre ce qui est présent sans chercher à l’interpréter. Entrer dans ses ressentis corporels, les approfondir, observer la façon dont ils se modifient est ce qui importe le plus. Le ressenti corporel reprend contact avec l’animal qui est en nous. Le fait de reconnaitre, éprouver et sentir, concentre notre attention sur le lieu où l’intégration peut commencer.

Pour des personnes traumatisées, contacter leur ressentis corporels peut être un réel défi. La dynamique du traumatisme les coupe de leur expérience interne afin de protéger l’organisme de sensations et d’émotions qui pourraient être intenses et les déborder.

Souvent les explications, les convictions ou les interprétations empêchent la personne de revenir à son vécu corporel. Pourtant, la recherche de signification a sa place dans l’intégration du traumatisme, mais plus tard. Au début, il importe de se concentrer sur ce qui est éprouvé plutôt que sur ce que nous en pensons.

Lorsque les personnes sortent du figement, elles transpirent souvent. Leur corps est parcouru de légers frissons, de vagues de transpiration et présente une agitation qui va en s’accentuant. Leur corps semble de cette manière sortir de l’immobilité « glacée » créée par le traumatisme.

Il faut souvent un certain temps avant que la personne traumatisée s’autorise à laisser émerger une expérience interne. C’est un voyage initiatique qui procède par petits pas. La patience est de mise, et il n’est pas nécessaire de tout ressentir tout de suite. La douceur est indispensable pour réussir ce voyage et l’avancée est d’autant plus rapide que nous avançons lentement :).

Un jeune arbre blessé grandit avec sa blessure, et quand il se développe, elle devient proportionnellement plus petite. L’histoire d’un arbre lui donne son caractère et sa beauté. Ses nœuds et ses branches déformées racontent les blessures du temps. Sans prétendre que le traumatisme est un bon formateur de personnalité, mais ne pouvant être évité, l’arbre fournit une image valable du rôle qu’il peut jouer.

Nos cultures modernes sont victimes de la croyance selon laquelle « endurer » serait synonyme d’être fort et qu’il serait héroïque de poursuivre notre route « comme si de rien n’était » en dépit de la gravité de nos symptômes. Cette règle sociale qui nous pousse à nous comporter en superman porte en réalité préjudice tant à l’individu qu’à la société concernés. Le véritable héroïsme consiste à reconnaitre ses traumatismes et non à les supprimer ou les dénier.

Pour aller plus loin

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Ma pratique thérapeutique est centrée sur la gestalt-thérapie mais pas seulement. Pour mieux me connaitre ou prendre contact par messagerie, consulter la page présentation.

Source

Peter LEVINE. Réveiller le tigre – guérir le traumatisme. Interéditions. 2019. Édition originale en 1997 sous le titre Waking the Tiger-Healing Trauma (North Atlantic Books)

Illustration mise en avant : Œuvre de Magritte


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