Retrouver la résonance du corps

Une métaphore pour définir la résonance du corps est de l’assimiler à la résonance d’une peau de tambour qui vibre et résonne aux percussions du monde. Quand nous nous sentons vivant, vibrant, en lien avec ce qui nous entoure, le corps résonne.
Mais il se peut aussi que le vécu de la relation au monde ne soit plus la résonance mais le mutisme, comme un tambour qui ne vibre plus. Le monde apparait froid, morne, hostile et nous pouvons nous sentir malheureux, froids, figés. Le corps se vit comme quelque chose d’autre que « soi », sans rapport avec le « je », seul confronté aux difficultés de vivre une vie pleine et sensée.

Comment le corps se vit séparé de « soi »

De nombreuses situations contribuent à vivre le corps comme séparé de soi. Ainsi, les personnes qui se sentent mal ont souvent le désir de mettre à distance ce qu’elles vivent corporellement comme désagréable. Outre les malaises corporels, elles peuvent être en désaccord avec leur existence physique, se sentir laides ou inadaptées. D’autres peuvent considérer qu’être attentives à l’expérience de leur corps est quelque chose de mal, de trop sexuel ou d’animal.
Il se peut aussi que l’expérience du corps a pu être tellement associé à la souffrance, à la maladie ou à l’intrusion, qu’elles cherchent à l’éviter.
Par ailleurs, notre langue organise la distinction entre le corps et le « je ». Aucun mot ne nous permet de dire « je-corps ». Au mieux, on pourra dire « mon corps », un peu comme on peut dire « ma voiture », ce qui associe le corps à une propriété, un objet (cf ici).
Enfin, le modèle de société capitaliste moderne pousse sans cesse à croitre, innover, produire afin de se maintenir. Alors, l’individu doit s’accélérer et se dynamiser pour se maintenir. Cette dynamisation modifie notre rapport au temps, à l’espace, aux autres, à ce qui nous entoure, et finalement à nous-mêmes, à notre corps et à nos propres dispositions psychiques. L’augmentation du nombre de burn-out n’est pas sans rapport avec ce contexte.

La résonance corporelle

Ci-après une expérimentation pour revenir à la résonance, à l’expérience de votre corps et de votre soi.

Amorcer le processus d’écoute du corps

À cet instant, assis, sans modifier intentionnellement l’attitude ou la position de votre corps, concentrez votre attention sur votre expérience du corps. Quelles sont vos premières impressions ? Quelles tensions ressentez-vous ? A quel endroit ? Comment respirez-vous : vite, lentement, profondément ? Quelle est votre position ? Vous tenez-vous droit par la seule force de votre corps, ou laissez-vous la chaise vous soutenir ? Êtes-vous avachi ou mou, droit ou rigide ? En quoi cette position assise influence-t-elle votre respiration ?

Jusqu’à présent, vous avez amorcé le processus qui consiste à être à l’écoute de l’expérience de votre corps. Des personnes ne ressentent rien lorsqu’elles se concentrent pour la première foi sur leur corps. Si tel est votre cas, ce manque de sensation est en lui-même un constat important, révélateur de votre sens du «soi» ici et maintenant. D’autres personnes vont ressentir quelque chose relatif à leur processus corporel ; si vous continuez suffisamment longtemps à être attentif à votre corps, les détails vont devenir plus riches et plus complets.

Poursuivre suffisamment longtemps

En restant concentré sur votre expérience du corps, faites des constats en silence ou à voix haute, en commençant par exemple par : «À cet instant, je remarque que ma respiration est tendue et superficielle. En ce moment je remarque une sensation de chaleur dans mon ventre». Prenez votre temps. Servez-vous de vos constatations pour vous aider à vous concentrer sur l’expérience de votre corps dans l’instant.

Vous remarquerez peut-être que certaines sensations sont plus nettes que d’autres. Peut-être avez-vous une conscience plus aiguë de votre respiration, de votre position, ou bien d’une tension dans le cou ou dans les jambes. En termes gestaltistes, ces sensations sont des figures, elles se détachent sur l’arrière-plan d’ensemble que constitue votre expérience du corps. Une figure commence peut-être à attirer votre attention et à prendre de l’ampleur si elle est importante pour votre soi.

Observer les figures

Maintenant essayez de remplacer le « je remarque…» par « je suis…», ceci afin de tenter d’associer votre «je» à votre expérience corporelle. Par exemple, remplacez «je remarque une tension dans mes épaules» par « je suis en train de tendre mes épaules ». Remplacez « je remarque une certaine mollesse dans les bras par «je suis mou dans les bras». Répétez l’opération cinq ou six fois.

Que se passe-t-il lorsque vous utilisez le terme «je» en référence à votre expérience du corps ? Certaines personnes rejettent l’appropriation qui en découle : «ce n’est pas moi qui tend mes épaules, il se trouve qu’elles sont comme ça». Si vous avez aussi envie de protester, la question est alors : qui donc est en train de tendre vos épaules si ce n’est vous ? Tendre vos muscles est une action que vous faites à vous-même en réaction à quelque chose. Mais peut-être que votre sensation de tension n’est pas assez nette pour vous permettre de ressentir que c’est vous qui la produisez.

Concentrez votre attention sur les deux ou trois sensations de tensions les plus marquantes pour vous. Prenez-en une à la fois. Comment pourriez-vous définir la caractéristique de cette tension ? Est-ce plutôt une sensation de pression ? de retenue ? de resserrement ? Vous pouvez vous aider en exagérant consciemment la sensation de tension afin d’en avoir une perception plus nette.

Du soi corporel au soi existentiel

À partir des mots qui définissent les différents types de tensions, l expérience peut aller plus avant. Supposez que votre corps est votre «soi». Si par exemple, l’une des tensions sur laquelle vous vous êtes concentré était de type pression, utilisez ce mot pour faire une phrase en deux parties à propos de vous-même : «je suis en train de me comprimer et ceci est mon existence» ou bien «je me retiens et ceci est mon existence».
Répétez les phrases deux ou trois fois. Sentez bien l’impact que peut avoir le fait de considérer son état corporel comme descriptif de son état existentiel.

Et si rien ne s’observe…

Peut-être avez-vous eu du mal à trouver quoi que ce soit de significatif à l’intérieur de votre expérience corporelle. Vous vous êtes arrêté à mi-chemin de l’expérimentation, vous n’avez ressenti que des sensations insignifiantes. Alors dans ce contexte de l’expérimentation, la proposition est de construire des phrases du type : «je n’aime pas trop être attentif à mon corps et ceci constitue mon existence.» «Je ne ressens pas grand-chose sur moi-même, et ceci constitue mon existence. » « Mon corps est insignifiant pour moi, et ceci constitue mon existence. » Votre résistance, malaise, ou sentiment d’insignifiance sont des constats tout aussi valables sur la relation que vous entretenez avec votre soi corporel.

Notre relation au corps et au monde

Nous ne vivons la réalité du monde que par l’intermédiaire de notre corps. Bien que notre relation au monde comprend des dimensions cognitives, réflexives, évaluatives qui ne sont pas de nature corporelle, elle reste inévitablement une expérience incarnée. Pour savoir qui l’on est, on doit être conscient de ce que l’on sent.

Lorsque nous réduisons notre expérience corporelle à un «ça» impersonnel au lieu d’un «je», nous faisons de nous moins que ce que nous sommes réellement. Nous nous diminuons, nous nous amputons d’une partie de nous-mêmes. Ce qui est en mesure de résonner devient muet. Plus nous mettons de distance entre notre « je » et notre expérience corporelle (ce que je sens, éprouve), plus «les choses» semblent nous arriver toutes seules. Alors, nous pouvons avoir le sentiment de perdre le contrôle, d’être dissociés, fragmentés.

Retrouver la résonance corporelle permet de percevoir et vivre le monde tout comme il permet à la personne de s’exprimer et d’exercer une influence dans le monde.

Pour aller plus loin

Cet article vous aura peut-être interpellé/e ? Je reçois sur rendez-vous (06.82.57.63.22) à mon cabinet ou par téléphone/ visio. Ma pratique thérapeutique est centrée sur la gestalt-thérapie mais pas seulement. Pour mieux me connaitre ou prendre contact par messagerie, consulter la page présentation.

Sources

James Kepner. Le corps retrouvé en psychothérapie. L’Exprimerie. 2018. (édition originale sous le titre « Body Process » publiée par Jossey-Bass Inc., Publishers en 1993)
Hartmut Rosa. Résonance. Une sociologie de la relation au monde. Editions de la découverte. 2018 (édition originale sous le titre « Resonanz. Eine Soziologie der Weltbeziehung » chez Suhrkamp Verlag en 2016)

Illustration mise en avant : Œuvre de de Virginie Dervillers


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