La séduction dans la relation

La séduction est une force d’attraction. Séduire, c’est attirer, amener à soi ou conduire l’autre à l’écart du monde, de manière irrésistible. Pour séduire, il faut plaire, et plus que çà. Le caractère irrésistible de la séduction témoigne de la puissance d’attraction qu’elle exerce. Deux moteurs sont possibles : le sexuel et le narcissique. Le premier est connu et c’est du second dont il sera question dans cet article. Néanmoins, sur le plan chronologique du développement humain, c’est la séduction narcissique – concept développé par Paul-Claude Racamier – qui apparait en premier.

La séduction narcissique

La séduction narcissique est mutuelle entre les deux partenaires. En réalité, elle remonte à très tôt, au début de notre arrivée au monde, tout en pouvant se rejouer dans la variété des relations amoureuses.
Au début de la vie, la mère séduit l’enfant et l’enfant la séduit. Il s’agit d’établir entre les deux partenaires une relation qui non seulement soit exclusive, mais à l’écart du monde et de ses mouvements. Cette relation de séduction narcissique prend la relève de l’ « unité » prénatale. Concrètement, il s’agit de cet unisson vécu alors que l’enfant était encore dans le ventre de sa mère. Mais cette « unité » n’est que relative, puisque le fœtus n’est pas un viscère de la mère. Dès avant sa naissance, il a commencé de vivre sa vie, et pour cause, il est en pleine croissance !

La relation de séduction narcissique vise donc à constituer une forme d’ « unité » où chacun se reconnaît dans l’autre, ou plus exactement dans l’ « unité » qu’ils forment ensemble. Toutefois la relation narcissique ne peut échapper à la règle de bipolarité de la nature. Et faute de respecter cette règle, c’est la mort ou la maladie qui menace.
Cette règle appliquée à la vie psychique fait que toute force a son contraire (son contrepoint). En ce sens, la séduction narcissique ne peut se réduire à cette « unité » apparente car elle porte également un aspect foncièrement paradoxal.

Séduction : des forces d’attraction / répulsion

Des forces centripètes

Le processus de la séduction narcissique se déroule entre les deux partenaires et va croissant. Toute approche de l’un renforce l’appel de l’autre, se fait plus précise, s’ajuste. Plus la mère et l’enfant s’ajustent et plus ils « visent » juste. Ainsi, la séduction narcissique va croître, jusqu’à culminer dans la fascination, donnant l’impression d’un unisson, avant de finir par décroître.

Des forces centrifuges

Les forces de répulsion centrifuge visent à éloigner de ce système tout ce qui pourrait le disperser, amener l’un ou l’autre des protagonistes à être moins tourné vers l’autre. Ainsi, les forces centrifugent repoussent les stimuli extérieurs parce qu’ils pourraient amener à mettre de l’espace dans cette relation. D’une certaine façon, ces forces repoussent ainsi le spectre de la séparation.
Une façon d’éviter les stimuli extérieurs consiste par exemple à anticiper les besoins de l’enfant, de sorte qu’il n’ai plus rien à désirer, ou encore de tenir le père et toute autre sorte d’étrangers éloignés de l’enfant.

Au global

Ces forces renforcent une forme d’autosuffisance vis à vis de l’extérieur. Elles s’exercent aussi, et surtout, à l’encontre de toute différenciation interne : entre chacun des protagonistes.
Ce que cette séduction redoute avant tout, c’est la différence, car toute différence est porteuse de séparation, tout comme elle est porteuse de désir.
Mais la relation de séduction narcissique va devoir naturellement se transformer du fait du mouvement :
– des forces de croissance qui poussent à la différenciation, à l’autonomie, à la séparation;
– des forces sexuelles qui contribuent à se sortir de cet espace, à se lier ailleurs.
Cette transformation est un virage qui se négocie plus ou moins bien.

Les issues de la séduction narcissique

La séduction narcissique va décliner sans tout à fait disparaître, et son destin pourra alors donner le meilleur ou le pire.

Le sentiment d’ « être avec »

Relié

Ainsi, la séduction narcissique, à l’instar du Nil après sa crue, va laisser un limon fertile. Ce dépôt, c’est le sentiment profond et informel de connivence avec le monde. La personne aura le sentiment que le monde est familier, on est avec, on est ensemble : la sensation d’être reliée au monde. Autrement, le réel est à chaque instant à regagner, restant toujours et sans cesse à séduire.

Empathie

Une séduction narcissique (héritière de la séduction narcissique originaire) permet à des relations de proximité de fleurir tout au long de la vie, parfois de façons fugitives, et d’autres fois durables. L’empathie, qui nous sert et nous importe tant en procède. Ainsi, plus l’écart est important entre certains mode de pensée ou des façons d’être des partenaires, plus se fera jour pour franchir cet écart, la nécessité de la séduction narcissique.

Alliances narcissiques

Quelquefois, il se peut que des liaisons surprenantes se produisent, sans être fondées sur le plaisir, ni sur l’intérêt commun, ni même sur une rencontre maturante et maturée, mais basées sur un puissant courant de séduction narcissique. Ces alliances narcissiques, quelquefois bienfaisantes, plus souvent funestes donnent lieu à une étroite connivence entre les partenaires. Cette connivence les aveugle, mais tend à faire le vide autour d’eux : les forces d’attraction / répulsion sont à l’œuvre. Ce sont ces mêmes forces qui se retrouvent sur une plus large échelle au cœur du registre incestuel. De même, les noyaux de perversion narcissique sont des dérivés malencontreux de ces sortes d’alliances.

Les distorsions de la séduction narcissique

Des liens aux ligatures

La distorsion va se produire quand cette séduction narcissique initiale, nécessaire et indispensable n’en finit pas, probablement similaire à ce qui peut se vivre ultérieurement dans les premiers temps des états amoureux passionnels. La mère et l’enfant – garçon ou fille – ne sont plus liés mais ligaturés : tout les soude, rien ne les sépare, mais rien non plus ne les unit, si ce n’est l’irrépressible ciment de la séduction narcissique. Il faut être et rester deux, accolés dans l’espace et la pensée, soudés moins par le cœur et par les sens que par le moi.

Une telle relation est anormale au sens où elle se prolonge au-delà des limites où elle est nécessaire au développement. Elle est aussi anormale au sens où elle se veut exclusive, entière, aveugle, ne laissant pas la place à l’appel et au désir de la vie, à la rencontre et à la découverte du monde extérieur, au mouvement de l’être dans le monde.

Une relation interminable

La relation narcissique ne s’achève pas, comme s’il était impossible de vivre la séparation, comme si en la vivant, il serait impossible de continuer de vivre. Et il est très probable que précisément, l’adulte lui-même enfant, n’a peut-être pas eu la possibilité de vivre cette séparation pour diverses raisons. Ce qui fait que ce type de relation interminable se répercute au fil des générations, et pas seulement par les mères, car un père construit de cette façon pourra tout autant ligaturer l’enfant.
La relation interminable devient dissymétrique, manipulatoire, s’accentue jusqu’à la caricature. L’enfant sera le miroir à qui incombe la tâche de renvoyer une image incessamment flatteuse et rassurante à l’adulte. L’enfant sera son complément : un organe destiné à le rendre complet, garant de l’identité de l’adulte.

Un gagnant et un perdant

Dans cette affaire, il y a un gagnant et un perdant : la mère (ou le père, si ce n’est la mère) y gagne en narcissisme, et le fils ou la fille y perd en autonomie : instrument de valeur mais instrument. Il peut se flatter d’être indispensable, il bénéficie en reflet d’une grandeur à laquelle il contribue. Il bénéficie d’une exclusivité absolue, mais il est devenu captif… Le terrain est devenu incestuel avec une indifférenciation massive.

Résoudre

Pour autant, si la séduction narcissique ne se termine pas, ce n’est sûrement pas parce qu’elle représente un paradis qu’on ne peut quitter. Car en réalité, c’est à ce qui a réussi qu’on renonce le moins mal. Et c’est dans ce qui a raté que l’on persiste avec ténacité, cherchant incessamment à résoudre.

Confronté à lui même, si cela lui est accessible, cet enfant devenu adulte pourra avoir l’impression d’être une coquille vide, cherchant incessamment à remplir le vide ou l’espace.

Les axes thérapeutiques travailleront entre autres à la différenciation (voir les articles ici, ici et ), aux limites des espaces, aux questions de séparation, au respect des limites imposées par le temps.

Différence entre la séduction narcissique réussie et celle qui échoue

La séduction narcissique réussie, cesse peu à peu, tout en ayant laissé une empreinte salutaire. Si elle échoue, c’est d’une part parce qu’elle ne se finit pas et aussi parce qu’elle se gâte.
Dans cette relation entre adulte et enfant, les deux partenaires se cherchent. Ils fusionnent, se séparent,se retrouvent et apprennent à se connaitre dans la relation. De là s’établit une rencontre, basée sur une symétrie. Cette symétrie est la condition fondamentale de toute rencontre satisfaisante. Il faut que chaque partenaire soit également en attente de l’autre. Mais si l’attente de l’adulte portée sur l’enfant est excessive, excessivement élevée, ou bien si elle est excessivement précise, elle sera de fait impossible à satisfaire et elle l’emportera dans tous les cas sur les attentes de l’enfant porté à l’adulte.
On pourra voir ici un parallèle avec notre façon de vivre nos relations amoureuses.

Pour aller plus loin

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Sources

Paul-Claude Racamier. L’inceste et l’incestuel. Dunod, 2021. Une première édition est parue en 1995 aux Éditions du Collège de Psychanalyse Groupale et Familiale.
Paul-Claude Racamier. Le génie des origines. Éditions Payot, 1992.

Illustration en avant : Œuvre de Tullius Heuer


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