La création continue d’imprévisible nouveauté

La création

La création se poursuit dans l’univers, et c’est cette imprévisible nouveauté qui fait l’événement. Bergson nous dit l’expérimenter à chaque instant. « J’ai beau me représenter le détail de ce qui va m’arriver : combien ma représentation est pauvre, abstraite, schématique en comparaison de l’événement qui se produit ! La réalisation apporte avec elle un imprévisible rien qui change tout. » Cette réalisation est le réel qui se vit, s’expérimente, l’événement qui surgit.
Bergson illustre son propos : « Je dois par exemple assister à une réunion ; je sais quelles personnes j’y trouverai, autour de quelle table, dans quel ordre, pour la discussion de quel problème. Mais qu’elles viennent, s’assoient et causent comme je m’y attendais, qu’elles disent ce que je pensais bien qu’elles diraient : l’ensemble me donne une impression unique et neuve « . On peut penser qu’un détail de circonstance ignoré a surgi, qu’il y a eu du « plus », c’est à dire un surcroît d’éléments dans la situation. Mais non.
De la même façon, dans ma vie intérieure, je prends le temps de réfléchir avant d’agir, mais l’acte lui-même, en s’accomplissant, a beau réaliser du voulu, du prévu, il n’en a pas moins sa forme originale.

La matière, la théorie, les pronostics.

Soit, dira-t-on, il y a peut-être quelque chose d’original et d’unique dans un état d’âme mais la matière est répétition. Ainsi, le monde extérieur obéit à des lois mathématiques. Une intelligence « surhumaine », qui connaîtrait la position, la direction, la vitesse de tous les atomes et électrons de l’univers matériel à un moment donné calculerait n’importe quel état futur de cet univers, comme nous le faisons pour une éclipse de soleil ou de lune.

Mais ce monde n’est qu’une abstraction. La réalité concrète comprend des êtres vivants, conscients. Supprimez le conscient et le vivant (et vous ne le pouvez que par un effort artificiel d’abstraction, car le monde matériel implique la présence nécessaire de la conscience et de la vie), vous obtenez en effet un univers dont les états successifs sont théoriquement calculables d’avance. Mais alors, à quoi bon le déroulement ? A quoi sert le temps ? Pourtant le temps invisible est quelque chose. Il agit.

Le temps, lieu de création

Le temps est ce qui empêche que tout soit donné d’un coup. Il retarde, ou plutôt, il est retardement, rétention. Et tordre le temps est source de confusion (voir ici). C’est dans ce temps de rétention que nous sommes créateur de nos intentions, de nos décisions, de nos actes. Et c’est donc de là aussi que nous créons nos habitudes, notre caractère, nous-mêmes. Nous pétrissons avec ce qui nous est fourni : le passé, le présent, l’hérédité, les circonstances, …C’est un travail unique, original, pour chacun. Et nous n’avons pas même besoin d’en être conscient, tout comme l’artiste n’a pas besoin d’analyser son pouvoir créateur.
Ainsi le temps que nous nous donnons, où nous « pétrissons », est essentiel. Il nous permet de créer nos vies.

L’impact sur nos représentations

Le rien, le néant, le vide

Dans ce contexte de création, la réalité est invention constante. Elle est un peu comme un ballon élastique qui se dilaterait peu à peu en prenant à tout instant des formes inattendues. C’est du plein qui ne cesse de se modifier et qui ignore le vide. Pourtant nous pouvons souvent exprimer un vécu angoissant de vide, de rien. Si je vais quelque part et qu’il n’y a rien ?? …Et après cela si je ne fais rien ??…Il n’y a rien à faire…Il pourrait ne rien y avoir. Et cette façon de se représenter notre vécu nous amène à nous étonner qu’il y ait quelque chose ou Quelqu’un.

« Il pourrait ne rien y avoir. »

Mais analysez cette phrase : « Il pourrait ne rien y avoir. » Rien désigne alors l’absence de ce que nous cherchons, de ce que nous désirons, de ce que nous attendons. Nous pouvons ainsi oublier ce qui est là. C’est à dire, ce qui est venu prendre la place de ce qui était attendu. Nous y voyons une suppression de ce que nous attendions.
Quand bien même la réalité serait alors vide absolu, ce vide aurait encore des contours, serait limité. Il serait encore quelque chose. Suppression signifie alors ici substitution. Seulement nous disons « suppression » car nous ne voyons qu’une des deux faces de la substitution : celle qui nous intéresse.

Le détournement de notre attention

Nous plaçons notre attention sur l’objet qui est parti et nous la détournons de celui qui le remplace. Alors nous disons qu’il n’y a plus rien, entendant par là que ce qui est là ne nous intéresse pas. Ainsi, nous nous accrochons à ce qui n’est plus là où à ce qui aurait pu y être – à une illusion.
L’idée de d’absence, du néant, ou du rien est donc inséparable de l’idée de suppression, qui n’est qu’une facette de l’idée de substitution. Ce mode de pensée particulièrement répandu nous détourne de ce qui est là. C’est un ressort largement utilisé par l’industrie (mais pas seulement) pour orienter notre attention ou stimuler nos angoisses. L’idée de suppression qui n’est que l’idée tronquée de la substitution, a autant de véracité que l’idée de carré rond, d’un jour sans nuit, d’une nuit sans jour.
En d’autres termes, cette prétendue représentation du vide absolu est, en réalité, celle du plein universel dans un esprit qui saute indéfiniment de partie à partie, avec la résolution prise de ne voir que ce qui l’insatisfait plutôt que le plein des choses. Finalement, c’est comme si ce qui peut advenir pouvait être représentable par avance réduisant les possibilités du vivant à des prévisions mortifères ignorant la puissance de la Création.

En conclusion

Revenir à ce qui est, à ce qui advient, nous permet de voir le train passer et même d’y monter. Ce positionnement est bien différent de celui qui consiste à fixer nos sens hypnotisés sur ce qui n’est plus. Prenant le temps de voir, de sentir, d’éprouver ce qui nous est donné, nous retrouvons alors progressivement notre vitalité, notre faculté de penser, d’agir. Nous nous sentons participer à la grande œuvre de la Création tout en étant créateurs de nous-mêmes. De quoi se sentir plus joyeux et plus forts !

Pour aller plus loin

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Ci après des articles complémentaires à celui-ci :
Notre représentation du monde
Ressentir la puissance du présent

Sources

BERGSON Henri. Le possible et le réel. Presses Universitaires de France (2011). La parution initiale date de 1934.
KESSLER Emmanuel. Henri Bergson, la joie de penser. (2022). Sciences Humaines, 350, 55-59. https://doi.org/10.3917/sh.350.0055


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