Notre représentation du monde

Différencier la réalité du monde de sa représentation

A partir de l’expérience singulière que nous faisons du monde, chacun d’entre nous créé une représentation, un modèle du monde à partir duquel nous générons notre comportement.

Ce modèle détermine dans une large mesure notre expérience future du monde, sa perception, ainsi que les choix qui nous apparaîtront disponibles au cours de notre existence.

« Nous devons garder à l’esprit que le monde des idées dans son ensemble n’est pas voué à être une copie de la réalité – ce qui serait une tâche absolument impossible – mais plutôt à nous fournir un instrument nous permettant de trouver plus facilement notre chemin dans le monde. »
H. Vaihinger

Les limites de nos représentations

La représentation du monde de chaque individu est unique. Elle est soumise à des contraintes neurologiques, sociales,  individuelles. 

Les contraintes neurologiques

Nos limites auditives, visuelles, notre sensibilité différente selon les parties de notre corps nous sont singulières. Le monde physique est invariable alors que l’expérience que chacun en fait est dépendante de notre système nerveux. Le monde est différent de l’expérience du monde vécue.  

Les contraintes sociales

Ces contraintes correspondent aux filtres auxquels nous sommes soumis : notre langue, notre manière de percevoir commune, ainsi que toutes les fictions que nous convenons socialement. 
Prenons l’exemple du filtre du langage. Dans la langue Maidu, il existe seulement trois mots pour décrire le spectre des couleurs : Lak (rouge), Tit (vert – bleu), Tulak (Jaune – orange – marron).
Pour autant, l’œil humain est capable de distinguer 7.500.000 teintes différentes dans le spectre des couleurs visibles, c’est à dire qu’il peut potentiellement faire l’expérience d’une très large palette de couleurs. Pour rendre compte l’expérience colorée du monde, il n’y a que trois termes Maidu, là où le français dispose de huit termes spécifiques. Il s’ensuit qu’une personne parlant le Maidu ne fait l’expérience de la couleur qu’au travers de trois catégories, alors que le locuteur français, disposant de plus de catégories, est par conséquent habitué à réaliser davantage de distinctions perceptives.

Les contraintes individuelles

Il s’agit des contraintes liées aux expériences que nous vivons personnellement et qui influencent notre représentation.
Si je me suis faire mordre par un chien et que j’ai eu très peur, il est probable que cette expérience impacte la représentation que je me fais des chiens.

A quoi sert le langage ?

Le contact avec la réalité complexe du monde conduit à des perceptions faites de sensations et d’émotions. Le langage est alors un moyen de raisonner, penser, imaginer…c’est à dire de se représenter nos expériences du monde. Le langage est aussi un moyen de parler, communiquer, discuter, écrire, chanter, …c’est à dire de communiquer notre modèle du monde à autrui.

Les règles telles que la grammaire, l’ordre des mots, leur sens, organisent la structure du langage, ce qui conditionne aussi la façon dont s’élabore notre modèle du monde.

Le langage opère une simplification indispensable pour appréhender la complexité du monde et y vivre. En revanche, une simplification à l’excès peut conduire à un modèle du monde qui réduit nos possibilités d’être au monde.

Différents processus de simplifications du langage

La généralisation

La généralisation est un processus typique qui appauvrit notre expérience du monde. L’expérience initiale va conduire à une représentation générale dont cette expérience initiale fait figure. La généralisation va alors limiter les possibilités d’actions.

Par exemple, durant la guerre, j’ai appris qu’il ne fallait pas exprimer ses émotions, ce qui était adapté à la situation. Plus tard, je continue à ne pas exprimer mes émotions, notamment dans mes relations avec ma femme. Cela peut alors être dysfonctionnel et me priver de vivre une relation intime.

Explorer les généralisations, ce qui me fait voir le monde de cette façon là, à partir de quelle expérience j’en arrive à cette représentation… va permettre de revoir ce modèle et pourra remettre du mouvement dans mes relations.

La suppression

Il s’agit d’un processus par lequel notre attention se porte de manière sélective sur certains aspects de notre expérience et en exclut d’autres. La suppression apparait aussi dans le langage pour décrire l’expérience vécue.

Léa s’est moquée de quelqu’un (a) peut, par processus de suppression, aboutir à Léa s’est moquée (s).
De la même façon, Léa s’est moquée de sa sœur (b) peut également aboutir à Léa s’est moquée (s). La suppression opérée entre (a) et (s) est quasiment neutre là où elle ne l’est pas entre (b) et (s).

La distorsion

La distorsion correspond à des représentations déformantes, qui peuvent limiter notre capacité à agir et augmenter notre souffrance potentielle.
Une façon de déformer notre modèle, et de se créer de la souffrance, est de mettre hors de notre contrôle des responsabilités qui sont les nôtres.

Par exemple, quand je dis mon collègue m’énerve, en réalité, mon collègue n’a pas ce pouvoir…Il s’agit plutôt de situations où mon collègue réalise un acte auquel je réagis en éprouvant une certaine émotion.
Mon collègue m’énerve revient à assigner la responsabilité de mes émotions à mon collègue. Plus justement, mon émotion est une réaction générée à partir de mon modèle – à savoir l’imaginaire que je ne peux rien à la situation – et suscite ma réaction d’agacement.
Si je peux remettre en question mon modèle initial de manière à prendre la responsabilité de mes réactions, il me sera alors plus facile de modifier cette expérience où je m’imaginais totalement démuni.

Représentation du monde et thérapie

représentation du monde
Œuvre d’Arnaldo Quispe

Les patients se sentent souffrants, paralysés, sans aucun choix, ni liberté d’action dans leur vie. En réalité, le monde n’est pas limité, mais les personnes ne voient pas les options/possibilités qui s’offrent à elles, car ces possibilités n’existent pas dans leur modèle du monde.
Les difficultés ou les facilités à traverser les périodes de changements seraient fonction de l’éventail de choix possibles de notre modèle du monde. Les personnes en difficulté font en réalité les meilleurs choix possibles à partir des options dont elles croient disposer. Il s’agit des meilleurs choix disponibles en fonction de leur propre modèle particulier. Le problème n’est pas que ces personnes font de mauvais choix mais qu’elles n’en ont pas assez.

Sur le plan collectif, on peut se demander comment notre modèle influence notre rapport au Vivant, aux rythmes de la nature.

Un certain nombre d’approches thérapeutiques visent à explorer quel est le modèle du monde du consultant. Comment son modèle s’est construit ? Quelle expérience vécue l’a amené à ce modèle ? Quelles sensations/émotions viennent quand le consultant se remémore la situation ? In fine, comment la représentation initiale peut être élargie ?


Source

D’après La structure de la Magie I, Langage et thérapie. Richard BANDLER & John GRINDER. Interedition 2015.

Illustration mise en avant : Œuvre de Michael Cheval


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