Les limites du savoir

Un conte autour du savoir

Le roi Mahmoud déambulait dans les rues de Ghazna, sa capitale, lorsqu’il vit un portefaix tituber sous le poids d’une lourde pierre qu’il portait sur le dos. Alors, incapable de réprimer le sentiment de compassion que lui inspirait le pauvre homme, il lui lança d’un ton impératif :
« Pose cette pierre à terre, portefaix ! »
L’homme obéit. Et la pierre resta des années dans la rue, gênant le passage.

Finalement, les habitants de Ghazna envoyèrent une délégation au roi pour lui demander de la faire enlever.
Mahmoud réfléchit en sage administrateur, et répondit :
« Ce qui a été fait sur l’ordre du roi ne peut être défait sur l’ordre du roi.
En effet, le peuple penserait que des caprices motivent les ordres royaux. La pierre restera où elle est. »

La pierre resta dans la rue du vivant de Mahmoud. Après sa mort, par respect pour les ordres royaux, personne n’osa y toucher. Les gens interprétèrent l’anecdote selon leur aptitude.

Les personnes opposées à la monarchie y virent la preuve de la stupidité d’un pouvoir cherchant à se maintenir coûte que coûte.

Les personnes honorant l’autorité, respectant ses ordres, dussent-ils leur causer des désagréments, ne trouvèrent rien à redire à la décision royale.

Enfin, celles qui étaient douées de compréhension saisirent la leçon que Mahmoud avait voulu donner. Il avait fait fi de ce que penseraient de lui les esprits superficiels. En permettant qu’une pierre fasse ainsi obstacle à la circulation, et en faisant connaître les raisons de sa décision de la laisser là, Mahmoud disait, à qui pouvait entendre, qu’il convient d’obéir au pouvoir temporel tout en prenant conscience du fait que ceux qui dirigent de façon rigide et dogmatique ne peuvent servir l’homme que partiellement. Ceux qui saisirent la leçon vinrent grossir les rangs des « chercheurs de vérité », et nombre d’entre eux trouvèrent leur voie vers la Vérité.
Conte soufi.

Que vous inspire ce conte ?

Comment résonne-t-il en vous ? Comment le temps et votre expérience de vie vous amènent-t-ils à modifier ce que vous pensiez être vrai à un moment donné ? Repérez-vous des vérités qui vous semblent immuables ? A y regarder de plus près, est-ce que ce qui vous parait immuable le reste ? ou pas ?

Savoir ? Ne plus savoir ?

Savoir, croire que l’on sait, sans savoir qu’il s’agit d’une croyance, est un obstacle majeur à l’écoute du présent de la situation, à l’observation de ce qui est là. Implicitement, c’est comme si ce qui – peut-être – était vrai à un moment donné, s’était fixé, sans évolution possible. Le risque est alors de perpétuer de façon aveugle « une vérité illusoire », comme se perpétue une tradition, et qui même s’endurcit au fil du temps.

Inversement, « ne plus savoir », c’est cesser de croire que la vérité est possible. Cela peut vouloir dire quitter certaines certitudes, se passer de certains points de repère, pourtant commodes et rassurants. C’est aussi s’ouvrir à l’inconnu, prendre le risque de la nouveauté.
Ne plus savoir, ce n’est donc pas négliger ce qui a été pensé antérieurement mais, c’est restituer – à la lumière de ce qui se vit – la pensée passée comme pensée en devenir, et non comme savoir établi.

Pour aller plus loin

Cet article vous aura peut-être interpellé/e ? Je reçois sur rendez-vous (06.82.57.63.22) à mon cabinet ou par téléphone/ visio. Ma pratique thérapeutique s’appuie sur la gestalt-thérapie mais pas seulement. Pour mieux me connaitre ou prendre contact par messagerie, consulter la page présentation.

Sources

Idries SHAH. Contes derviches. Le courrier du livre. (2011). Edition originale sous le titre Tales of the dervishes, The Octagon Press – 1967.
Jacques BLAISE. Ne plus savoir. Phénoménologie et éthique de la psychothérapie. L’Exprimerie. (2001)

Illustration mise en avant : artiste non identifié


Reproduction autorisée de l’article sous réserve de respecter l’intégralité du texte et de citer la source www.psy-gestalt-nancy.com