L’arbre

Dans un pays aride fut autrefois un arbre prodigieux…

Dans un pays aride fut autrefois un arbre prodigieux. Sur la plaine on ne voyait que lui, largement déployé entre les blés malingres et le vaste ciel bleu. Personne ne savait son âge. On disait qu’il était aussi vieux que la Terre. Des femmes stériles venaient parfois le supplier de les rendre fécondes, des hommes en secret cherchaient auprès de lui des réponses à des questions inexprimables et les loups lui parlaient, certaines nuits sans lune, mais personne jamais ne goûtait à ses fruits.

Ils étaient pourtant magnifiques, si luisants et dorés le long de ses branches maîtresses pareilles à deux bras offerts dans le feuillage qu’ils attiraient les mains et les bouches des enfants ignorants. Eux seuls osaient les désirer. On leur apprenait alors l’étrange et vieille vérité. La moitié de ses fruits était empoisonnée. Or tous, bons ou mauvais, était d’aspect semblable. Des deux branches ouvertes en haut du tronc énorme lune portait la mort, l’autre portait la vie, mais on ne savait laquelle nourrissait et laquelle tuait. Et donc on regardait, mais on ne touchait pas.

…Vint un été trop chaud…

Vint un été trop chaud, puis un automne sec, puis un hiver glacial. Neige et vent emportèrent les granges et les toits des bergeries. Les givres du printemps brûlèrent les bourgeons, et la famine envahit le pays. Seul sur la plaine l’arbre demeura imperturbable. Aucun de ces fruits n’avait péri. Malgré les froidures, ils étaient restés en aussi grand nombre que les étoiles au ciel. Les gens, voyant ce vieux père solitaire miraculeusement rescapé des bourrasques, s’approchèrent de lui, indécis et craintif. Ils interrogèrent son feuillage. Et ils n’en eurent pas de réponse. Ils se dirent alors qu’il leur fallait choisir entre le risque de tomber foudroyés, s’ils goûtaient aux merveilles dorées qui luisaient parmi les feuilles, et la certitude de mourir de faim, s’ils n’y goûtaient pas.

Comme ils se laissaient aller en discussions confuses, un homme dont le fils ne vivait plus qu’à peine osa soudain s’avancer d’un pas ferme. Sous la branche de droite il fit halte, cueilli un fruit, ferma les yeux, le croqua et resta debout, le souffle bienheureux. Alors tous à sa suite se bousculèrent et se gorgèrent délicieusement des fruits sains de la branche de droite qui repoussèrent aussitôt, à peine cueillis, parmi les verdures bruissantes. Les hommes s’en réjouirent infiniment. Huit jours durant ils festoyèrent, riant de leurs effrois passés.

…Les hommes savaient désormais où étaient les rejetons malfaisants de cet arbre…

Les hommes savaient désormais où étaient les rejetons malfaisants de cet arbre : sur la branche de gauche. Ils la regardèrent d’abord d’un air de défi, puis leur vint une rancune haineuse. À cause de la peur qu’ils avaient eu d’elle ils avaient failli mourir de faim. Ils la jugèrent bientôt autant inutile que dangereuse. Un enfant étourdi pouvait un jour se prendre à ses fruits pervers que rien ne distinguait des bons. Ils décidèrent donc de la couper au ras du tronc, ce qu’ils firent avec une joie vengeresse.

Le lendemain, tous les bons fruits de la branche de droite étaient tombés et pourrissaient dans la poussière. L’arbre amputé de sa moitié empoisonnée n’offrait plus au grand soleil qu’un feuillage racorni. Son écorce avec noirci. Les oiseaux l’avaient fuit. Il était mort.

Que vous évoque ce conte ?

Ou ce conte vous amène t-il ? Prenez le temps de ce petit voyage immobile 🙂
Quel éclairage peut-il vous apporter de situations vécues, du rapport à la Nature tant au sens de notre macrocosme extérieur que de notre microcosme intérieur ? Quel est votre représentation de la perfection ? de l’imperfection ?
Et peut-être que ce conte vous aura « simplement » amusé/e, et c’est déjà beaucoup !

Pour aller plus loin

Je reçois sur rendez-vous à mon cabinet ou consulte par visio ou téléphone (06.82.57.63.22). Ma pratique est centrée sur la gestalt-thérapie, mais pas seulement. Pour mieux me connaitre ou prendre contact par messagerie, consulter la page présentation.

Source

Conte rapporté par Henri Gougaud. L’arbre d’amour et de sagesse. Editions du seuil 1992.

Illustration mise en avant : Extrait de carnet – « Sophora Japonica », Francis HALLE

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