La honte à exister

Différentes formes de honte peuvent être éprouvées. Ce peut-être un affect, une émotion ou encore prendre une dimension existentielle quand il s’agit d’une honte à exister. Dans ce cas, elle est rarement ressentie ou identifiée comme telle. La personne se dira timide, sauvage, introvertie, asociale, complexée, etc, amenant à de nombreux comportements d’évitement sans se confronter à cette honte là.

Différencier honte et pudeur

La pudeur est un instrument au service de la protection de soi, permettant de prévenir d’une agression. La honte quant à elle, est différente : elle témoigne que les protections qui lui ont été opposées ont échoué. Ainsi, la pudeur repose sur un risque imaginé et anticipé là. En revanche la honte est la trace d’un traumatisme qui a réellement eu lieu.

L’impact d’une expérience catastrophique sur les trois sphères identitaires (estime de soi, lien aux autres, sentiment d’appartenance à l’espèce humaine) permet de différencier honte et pudeur. Dans la pudeur, l’inquiétude de perdre l’affection de ses proches et le risque de marginalisation de sa communauté sont importants. Mais la pudeur ne touche pas l’estime de soi, allant même jusqu’à la renforcer. Se protéger du regard ou de l’intrusion des autres, lorsque c’est nécessaire, s’accompagne souvent du sentiment d’avoir surmonté une épreuve.

La pudeur protège la sphère intime. La pudeur contribue ainsi à poser clairement la différence entre celle-ci et la sphère publique à laquelle elle s’oppose. Au contraire, dans l’expérience de honte, cette distinction fondatrice est annulée. Les murs protecteurs des maisons s’effacent, les vêtements se volatilisent, les pensées sont à nu. Celui qui est en proie à une expérience de honte a l’impression que la moindre de ses mimiques, de ses gestes, voire de sa pensée la plus secrète, s’expose à la vue de chacun. Le seuil de l’intimité est franchi : l’effraction que la pudeur est destinée à empêcher a eu lieu, la pensée même, soumise au regard inquisiteur de l’autre, est paralysée.

Différencier honte et culpabilité

La honte désocialise, la culpabilité socialise. Là où la honte touche les trois sphères identitaires, la culpabilité n’en concerne que deux, à savoir l’estime de soi et l’assurance de bénéficier de l’affection de ses proches. La culpabilité ne remet pas en question le sentiment d’appartenance au groupe. Quiconque est reconnu coupable d’un acte répréhensible est assuré d’être réintégré dans sa communauté une fois sa peine purgée. C’est pourquoi la culpabilité est souvent préférable à la honte, car elle s’accompagne de la conviction qu’il est possible de se « racheter ».

Quiconque éprouve la honte craint en effet d’être définitivement mis à l’écart du groupe, qu’il s’agisse de sa famille d’enfance ou de toutes les familles de substitution. Dans les formes extrêmes, cette inquiétude est même celle d’être exclu de l’humanité dans son entier. Les manières d’en parler sont d’ailleurs éclairantes. On dit de quelqu’un qui a honte qu’il devrait « rentrer sous terre », et lui-même pense souvent des choses comme : « J’aimerais mieux disparaître ». « J’ai envie de rentrer dans un trou de fourmi » ou même « Je préférerais ne pas exister ». Ces formulations évoquent l’inquiétude de perdre non seulement l’affection de ses proches, mais même toute manifestation d’intérêt de leur part.

Les hiérarchies sociales savent jouer du pouvoir de la honte. Plutôt que de faire le reproche précis d’une faute à quelqu’un, mieux vaut tenter de lui faire honte : il sera prêt à se sentir coupable ensuite de toutes les fautes qu’on lui imputera, et même de celles qu’on ne lui imputera pas !

La culpabilité comme la honte peuvent informer du franchissement d’un seuil. Mais les reconnaitre permet d’anticiper ce risque et inciter celui qui s’y engage à faire machine arrière.

L’impact sur trois piliers fondamentaux de l’identité

le dialogue intériorisé de soi à soi brisé

La honte brise le contact que la personne entretient avec ses propres émotions, c’est à dire avec le partenaire émotionnel intériorisé qui sert à chacun d’entre nous de répondant intime. Quiconque perd la capacité de partager ses émotions profondes avec ce partenaire , c’est-à-dire de soi à soi, se retrouve à en chercher un autre à l’extérieur. C’est pourquoi il devient une proie facile pour ceux qui, près de lui, prétendent jouer ce rôle. Il rit alors de ce qui fait rire ses pairs, s’afflige de ce qui les afflige, adhère sans réserve à leurs jugements, s’indigne de ce qui les indigne, ou encore admire et aime le chef que la majorité plébiscite. Toutes ces attitudes découlent logiquement de la fracture imposée à une personnalité par la honte.

La honte se combat dans les trois domaines identitaires qu’elle menace. Il s’agit de l’estime de soi  – tant psychologique que corporelle –, les liens affectifs avec les proches et la participation à la communauté humaine.

Honte et intégration sociale

D’un côté, on tisse souvent des liens pour échapper au risque de la marginalisation et à la honte qui l’accompagnerait. Mais d’un autre côté, il faut aussi apprendre à se délier quand on découvre que le groupe dont on fait partie ne correspond pas à ses idéaux personnels : il existe des valeurs supérieures à l’intégration sociale ! Et, pour que la honte s’éprouve pour le meilleur et non pour le pire, ceux qui l’éprouvent doivent en parler pour permettre à d’autres d’en parler à leur tour.

Chacun doit revendiquer le droit de dire : « Oui, j’ai honte, et j’en suis fier parce que cela me permet de porter un regard différent aujourd’hui sur ma vie, mes proches, les valeurs auxquelles je croyais jusqu’ici, et de prendre un nouveau départ ».

Pour aller plus loin

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Sources

Jean-Marie Robine. La honte (in Psychopathologie en gestalt-thérapie – G. Francesetti et al.). pp 291-302: L’Exprimerie. 2013.
Serge Tisseron. Voyage à travers la honte. Bruxelles: www.yapaka.be. 2006.

Illustration mise en avant : Œuvre de Charles Burton Barber


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