Du regard à la rencontre

Du regard « objectif » à la rencontre

Martin Buber attire l’attention sur ce que notre regard sur le monde induit selon que nous le regardons comme une chose objective (Je-cela) , ou que nous le contactons comme une autre conscience (Je-Tu).

Le regard objectif ou l’attitude « Je-cela«

Regarder le monde comme une chose, un cela, c’est le voir comme en dehors de nous, de façon « objective » en quelque sorte. Nous le déterminons à travers ce qui le caractérise, ses spécificités,…en référence à des définitions, lois, nomenclatures, connaissances. C’est un peu comme si nous regardions le monde à travers un savoir passé sans relation originale avec ce qui est là. Nous pouvons ainsi le décomposer, ou nous intéresser qu’à une partie de ce qui le constitue. Cette attitude peut tout autant concerner le regard porté sur le vivant à l’extérieur de nous, que le regard porté sur soi.

Cette manière de poser le monde est en même temps une manière de nous poser par rapport à lui. En le chosifiant, aucune relation réciproque ne s’établit entre nous et le monde et nous restons seul face au monde. Et s’agissant de soi, nous pouvons vivre une forme de clivage.

La rencontre ou l’attitude « Je-Tu«

Dans l’attitude « Je-Tu » , la conscience se pose explicitement comme étant reliée à une autre conscience, un Tu. Ainsi, elle ne se positionne plus devant une chose ou un mécanisme. Elle s’est déplacée du lieu de la connaissance, pour se tourner activement vers autrui : un « Je » face à un « Tu« .

« Dire Tu c’est n’avoir aucune chose pour objet […] Tu ne confine à rien. Celui qui dit Tu n’a aucune chose, il n’a rien. Mais il s’offre à une relation. » Martin Buber

Cette manière de voir le monde s’inscrit dans une attitude activement relationnelle et originale. C’est une manière d’être, d’agir. C’est voir en l’autre une totalité singulière, présente et valable. Alors, cette rencontre échappe à la causalité des choses. Elle nous fait exister dans la réciprocité et la réalité de l’instant.

La réciprocité de la rencontre

Qu’il s’agisse de la vie avec la nature, ou de la vie avec les hommes, notre façon d’appréhender le monde utilise les deux registres Je-cela et Je-Tu. Néanmoins, la réciprocité ne se trouve jamais dans l’axe du Je-cela. Elle ne se trouve que dans l’axe vivant du Je-Tu.

Bien sûr, dans le contact avec la nature, un animal par exemple, le Tu adressé se confronte à la barrière du langage là où il peut s’échanger dans le contact humain. Au delà du langage, il s’agit de voir comment le regard porté sur l’être rencontré impacte la relation.

Dans l’axe du Je-Tu, l’être rencontré se soucie de moi comme je me soucie de lui ; il espère en moi comme j’espère en lui. Je le crée en tant que personne dans le même temps où il me crée en tant que personne. Il s’agit de liens profondément vivants.

Ci après un extrait de Martin Buber où le regard se porte sur un arbre dans une attitude Je-Cela puis Je-Tu.

Considérer un arbre…

 «Je considère un arbre.
Je peux le percevoir en tant qu’image : pilier rigide sous l’assaut de la lumière, ou verdure jaillissante inondée de douceur par l’azur argenté qui lui sert de fond.
Je peux le sentir comme un mouvement : réseau gonflé de vaisseaux reliés à un centre fixe et palpitant, succion des racines, respiration des feuilles, échange sans fin de la terre et du ciel – et cette obscure croissance elle-même.
Je peux le ranger dans une espèce, voir en lui un exemplaire sur lequel j’étudierai la structure et les modes de vie.
Je peux annihiler si durement son existence temporelle et formelle que je ne voie plus en lui que l’expression d’une loi – d’une des lois en vertu desquelles un conflit permanent de forces finit toujours par se résoudre, ou des lois qui président au mélange et à la dissociation des substances vivantes.
Je peux le volatiliser et l’éterniser en le réduisant à un nombre, à un pur rapport numéral.
L’arbre n’a pas cessé d’être mon objet, il a gardé sa place dans l’espace et dans le temps, sa nature et sa façon d’être.

Mais il peut aussi se faire que, de propos délibéré et en même temps que par l’inspiration d’une grâce, considérant cet arbre, je sois amené à entrer en relation avec lui. Il cesse alors d’être un Cela. La puissance de ce qu’il a d’unique m’a saisi.
Point n’est besoin que je renonce à un mode quelconque de ma contemplation. Il n’est rien dont je doive faire abstraction pour le voir, rien que je doive oublier, au contraire ; l’image et le mouvement, l’espèce et l’exemplaire, la loi et le nombre, tout a place dans cette relation, tout y est indissolublement uni.

Tout ce qui tient à l’arbre y est impliqué : sa forme et son mécanisme, ses couleurs et ses substances chimiques, ses conversations avec les éléments du monde, et ses conversations avec les étoiles, le tout enclos dans une totalité.

Ce n’est pas une impression que cet arbre, ni un jeu de ma représentation, ni une valeur émotive ; il dresse en face de moi sa réalité corporelle, il a affaire à moi comme j’ai affaire à lui, mais d’une autre manière. 

Ne cherchez pas à affaiblir le sens de cette relation : toute relation est réciprocité. » M. Buber.

Pour aller plus loin

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Ma pratique thérapeutique se centre sur la gestalt-thérapie mais pas seulement. Pour mieux me connaitre ou prendre contact par messagerie, consulter la page présentation.

Sources

BUBER Martin. Je et tu. Aubier Philosophie. 2015
MISRAHI, Robert. « Martin Buber, philosophe de la relation », Revue du MAUSS, vol. 47, no. 1, 2016, pp. 35-43.

Illustration mise en avant : Œuvre d’Auguste Herbin


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