La voie d’Etty Hillesum

Etty Hillesum (1914-1943) décide en 1941 d’écrire un Journal afin de s’analyser et de se connaître en profondeur. Cette décision fait suite à sa rencontre avec Julius Spier, avec qui elle tisse un lien fort. Ses écrits d’une grande intensité s’inscrivent dans la gravité du moment historique qu’elle est forcée de vivre, subissant l’impact des mesures anti-juives. Etty sera déportée et décédera à Auschwitz en 1943.
A travers ses écrits, Etty Hillesum nous livre son idéal : bannir de nous-mêmes la haine et, par là, la bannir du monde. Un projet ambitieux et motivant !

Les courts passages ci après son tirés du premier cahier de son journal. Peut-être vous donneront-ils l’envie de lire son œuvre plus avant ?

Des liens du cœur

« Un être humain ne doit jamais faire d’un autre être humain le centre de sa vie. C’est une chose que je dois constamment garder à l’esprit. Quand on en vient à s’accrocher à l’autre, cet autre absorbe vos forces et l’on a de ce fait moins à apporter à son partenaire. On doit être un monde en soi, avec son propre centre, et c’est à partir de ce centre que l’on pourra émettre ses rayons où ses forces ou tout ce qu’on voudra en direction des autres. […]
On doit « agrandir « constamment son cœur, pour y faire beaucoup de place.

Faire de la place dans son cœur

Quand il y a peu de place dans le cœur, accueillir une nouvelle personne oblige les autres à en sortir. On doit faire en sorte que l’un ne soit pas lésé au profit de l’autre. Pour cela, il faut posséder vraiment beaucoup d’amour.
Lorsque l’attention est captée par un nouveau visage, on ne doit pas pour autant en oublier soudain tous les visages anciens. Lorsqu’un sentiment fort éclôt pour un être jusqu’à lors inconnu, ceux que l’on éprouve pour les anciens amis ne doivent pas s’atténuer. On peut s’y éduquer. Lorsqu’on tient beaucoup à un être, on doit se garder d’investir toutes ses forces dans celui-ci, sinon, il ne restera plus rien pour un autre. Dans les relations humaines authentiquement bonnes, on puise justement des forces dans l’amour ou l’amitié que l’on éprouve pour l’autre. Il faut être juste envers tous, on a pas le droit de manquer à l’un du fait d’un sentiment trop puissant pour l’autre. Cela exige beaucoup de force et beaucoup d’amour.

Mondes intérieur et extérieur

Le paysage que chaque être humain porte en soit, il le cherche aussi à l’extérieur. C’est peut-être la raison pour laquelle j’ai toujours eu cette étrange aspiration aux vastes steppes russes. Mon paysage intérieur se compose de plaines grandes et vastes, infiniment vastes, c’est à peine si il y a un horizon, une plaine succède à l’autre sans césure. Et lorsque je suis assise sur cette chaise, repliée en moi-même, la tête profondément inclinée, j’erre parmi ces étendues vierges, et lorsque je reste ainsi un moment, un sentiment bienfaisant d’immensité et de paix m’envahit.

Conscience de notre intériorité

Le monde intérieur et aussi réel que le monde extérieur. On doit en être conscient. Il y a aussi ses paysages, ses contours, ses possibilités, ses territoires sans frontières. Et soi-même l’on est le petit centre où monde intérieur et extérieur se rencontrent. Les deux mondes se nourrissent l’un de l’autre, on ne doit pas négliger l’un au profit de l’autre, ni juger l’un plus important que l’autre. Sinon, notre propre personnalité s’appauvrit. Ne pas reconnaître consciemment notre monde, c’est un peu comme amputer notre être de moitié, le mutiler plus ou moins. Quand les forces venues de ce monde intérieur se manifestent de temps à autres, elles donnent par moment, une certaine expansion à la personnalité, une touche de plus grande signification. Sans débroussailler ce monde intérieur, il reste un territoire irréel car non reconnu. Défricher, c’est travailler à introduire un peu d’ordre et à éveiller la conscience.

Sources

HILLESUM Les écrits d’Etty Hillesum. Journaux et lettres 1941-1943. Édition intégrale. Editions du Seuil. 2008. Édition originale : Uitgeverij Balans, 1986, langue néerlandaise.
VILLELA-PETIT, M. Etty Hillesum ou l’itinéraire spirituel d’une jeune femme au milieu d’un désastre historique. Transversalités, 2011/1 (N° 117), p. 103-120. https://www.cairn.info/revue-transversalites-2011-1-page-103.htm

Image mise en avant : photographie d’Etty Hillesum prise par Han Wegerif

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