La peau et le toucher

D’après Ashley Montagu

La peau, un organe essentiel

La peau est notre organe le plus sensible, notre premier mode de communication, et la plus efficace de nos protections. Le sens du toucher est le premier à se développer chez l’embryon humain. La peau provient de l’ectoderme, la plus externe des trois couches cellulaires de l’embryon. L’ectoderme donne également naissance au système nerveux. La surface de la peau comporte de nombreux récepteurs sensoriels qui reçoivent des informations multiples (froid, chaleur, contacts, douleur…). On estime qu’il existe environ 50 récepteurs au 100 mm². Le nombre de points tactiles varie de 7 à 135 par cm².
En tant que système sensoriel, la peau est de loin l’ensemble d’organes le plus important du corps. L’humain peut vivre aveugle, sourd, manquer de goût, d’odorat. Mais il ne sait survivre un instant sans les fonctions assurées par la peau.

La peau et l’expérience précoce du toucher

Chez les mammifères, la mère lèche ses petits au moment de la naissance. Cette « toilette » n’est pas du tout un simple débarbouillage mais un comportement aux desseins beaucoup plus profonds. C’est une pratique universellement répandue parmi les mammifères, à l’exception de l’homme et peut-être des grands singes. L’animal nouveau-né doit être léché pour pouvoir survivre. Cette pratique stimule les systèmes vitaux : systèmes gastro-intestinal, génito-urinaire, respiratoire, circulatoire, digestif, nerveux, endocrinien, de reproduction.

Chez l’humain, la stimulation cutanée est importante à tous les stades du développement mais plus encore pendant ses premiers jours. La stimulation cutanée précoce exerce une influence bénéfique sur le système immunologique, en ayant des conséquences importantes sur la résistance aux infections et autres maladies.
L’expérience tactile précoce où son absence affecte la croissance physique et le développement du comportement.

Peau, toucher, contact, lien à l’autre

Dans l’expérience de Harlow (1958), un bébé singe est placé en présence de deux « mères » factices. L’une est faite de grillage et fournit du lait, et l’autre est constituée de lainage doux et chaud. Les petits préfèrent se blottir contre la « mère » de lainage et aller se nourrir brièvement sur celle en grillage. Harlow éclaire à l’époque toute l’importance que revêt le contact.
Des recherches sur les comportements montrent que l’absence de contacts corporels normaux et satisfaisants pendant l’enfance peut empêcher la mère à l’âge adulte de développer une relation physique normale avec son propre enfant. De même, la brutalité maternelle provient peut-être d’une expérience sociale insatisfaisante avec d’autres enfants avant l’âge d’un an.
Les caresses de la main sont pour le bébé de l’espèce humaine une catégorie de sensations pratiquement aussi importante que le léchage pour les autres mammifères.

Utéro-gestation et extéro-gestation

L’état de maturation à la naissance

L’homme nait inachevé, et le reste plus longtemps que tout autre animal. Au-delà de la dépendance à l’environnement, l’immaturité est physiologique et biochimique. Le bébé manque d’enzymes. Il se passe plusieurs semaines, avant que n’apparaissent les enzymes hépatiques, duodénales et les amylases. Les enzymes gastriques sont présentes pour l’ingestion du colostrum et du lait maternel. Mais elles sont encore incapables de métaboliser efficacement la nourriture que des enfants plus grands consomment. Le nourrisson nait avant la fin de sa gestation. La croissance du cerveau est très importante durant le dernier mois de grossesse. Une poursuite de cette croissance à l’intérieur de l’utérus rendrait la naissance impossible. La survie du bébé et de la mère exigent que la gestation utérine prenne fin quand la tête a atteint la taille limite compatible avec la naissance, longtemps avant l’achèvement de la maturation. L’utéro-gestation se prolonge en extéro-gestation (hors matrice).

L’extéro-gestation

le contact
Œuvre de Dorian Florez

Les contractions massives de l’utérus sur le corps du bébé jouent un rôle important pour le préparer au monde post-natal. Les nerfs sensoriels ainsi stimulés activent le système nerveux central. Il s’ensuit une transmission des informations reçues vers les différents organes, par l’intermédiaire du système neuro-végétatif. Les systèmes vitaux activés et tonifiés se préparent aux fonctions qu’ils vont remplir tout de suite après la naissance.
Quand la peau est insuffisamment stimulée, les systèmes nerveux et neurovégétatif ne fonctionnent pas bien et ralentissent l’activité des principaux systèmes d’organes. C’est une observation vielle comme le monde, que si un bébé nouveau-né n’arrive pas à respirer, deux tapes vigoureuses sur les fesses pourront provoquer l’inspiration.
Les informations que l’enfant nouveau-né reçoit par sa peau, son premier moyen de communication, font partie de ses besoins fondamentaux.
La fin de l’extéro-gestation correspond au stade où l’enfant commence à courir à quatre pattes.

Toucher, soin, amour

Ensuite, c’est par le contact physique que l’enfant établit son premier contact avec le monde. C’est par lui qu’il embrasse une nouvelle dimension de sa vie, l’expérience du monde de l’autre. Cette perception du corps de l’autre lui sera une source essentielle de confort, de chaleur, et favorisera son ouverture à des situations nouvelles.
Les réactions de la mère devant son nouveau-né dépendent en grande partie de sa propre expérience comme bébé, puis comme enfant, et, dans une moindre mesure, de son éducation et de sa maturité.

La peau récepteur et système d’orientation

Le toucher stimule des récepteurs présents dans la peau et d’autres présents dans les muscles et les articulations.
Au contact des muscles, tendons et articulations de la personne qui le soutient, le bébé perçoit le mouvement et la personne qui le porte.
Par le toucher il prend conscience que le monde se compose de présences, d’objets qui sont des corps. Ce sont des corps, car ils entrent au contact de l’homme dans ce qui lui est le plus proche, son « moi », c’est-à-dire son corps. À travers la preuve tangible du corps de sa mère, l’enfant prend conscience de son propre corps et du corps de sa mère, c’est son premier rapport aux choses extérieures. C’est par l’intermédiaire de sa peau et des sensations qu’elle lui procure, que l’enfant, à tâtons, parvient à différencier l’intérieur de l’extérieur, son moi et son non-moi, à établir ses relations extérieures.

Toucher, tendresse, interdépendance

Dans le toucher maternel, le stade de l’effleurement précède celui de la pleine confiance. Cette confiance semble éveiller une réponse personnelle et expressive du bébé. Quelques fois il émet un petit cri, plus souvent il se blottit d’une façon particulière, et à trois mois il exprime un plaisir infini. Cette réponse doit venir du bébé lui-même et de personne d’autre pour qu’il acquiert dans cette relation le sens des rapports humains et de leur réciprocité. Différents signes de satisfactions peuvent faire plaisir à la mère. Il faut également signaler qu’elle est à cette époque-là très vulnérable aux signes du rejet. Mais lorsque la jeune mère a une solide constitution psychique, elle reste confiante et relève tous les signes positifs d’une relation affective et réciproque qui se construit.

Évolution du contact, de la relation

Le toucher maternel évolue de l’effleurement des premiers jours, aux caresses avec la main. De la phase exploratoire où elle découvre, la mère s’implique de façon plus intime, dans un contact maximal des mains avec le corps du bébé. Les mains de la mère reposent, détendues et accueillantes, exprimant son amour pour l’enfant. Le bébé réagit favorablement à ce contact ferme et réconfortant, aux sensations qu’il éprouve, dans cette relation réciproque. S’il est frustré dans son besoin de contact, le bébé va se caresser, sucer son pouce, se bercer ou se balancer. Se bercer soi-même, ou autre activité répétitive similaire est un substitut à la stimulation du mouvement passif vécu dans la matrice. Se caresser et sucer son pouce sont des substituts à une stimulation sociale.
Le besoin d’une stimulation tactile tendre est un besoin primaire indispensable au développement sain et équilibré de l’être en devenir.

Peau et sexualité

peau et sexualité
Œuvre d’Egon Schiele

La peau n’intervient jamais dans aucune autre relation autant que dans l’acte sexuel. Pour l’enfant, être tenu dans les bras et bercé joue un rôle important dans son développement sexuel ultérieur. Plus tard, l’adulte recherche et prodigue à l’être aimé ce qu’il a pu vivre de ces premiers moments (contact, étreinte, tendresse). Les enfants insuffisamment pris dans les bras et dorlotés peuvent souffrir, adolescents puis adultes, d’une boulimie affective de caresses.
Le besoin de contact physique, comme les besoins buccaux, peut s’intensifier au cours des périodes difficiles. Mais, alors que l’on peut satisfaire seul et tout de suite ses désirs buccaux par de la nourriture, du tabac, de l’alcool,… les désirs de contact physique peuvent difficilement se réaliser sans la participation d’une autre.
L’activité sexuelle, voire l’obsession frénétique du sexe dans certaines sociétés, n’est pas tant l’expression d’un intérêt sexuel qu’une tentative pour satisfaire le besoin de contact physique.

En conclusion

Le besoin de contact corporels bienveillants et respectueux est irrépressible. Si ce besoin n’est pas satisfait correctement, l’enfant en souffre même si tous les autres besoins sont comblés. Nous sommes conscients de l’importance de satisfaire les besoins fondamentaux : faim, soif, sommeil, élimination urinaire et intestinale, entretien des réflexes d’évitement des stimuli dangereux… car si ces besoins ne sont pas satisfaits, les conséquences sont très apparentes. L’impossibilité de satisfaire les besoins tactiles a des conséquences moins évidentes, ce qui tend à les sous-estimer. Nous devons comprendre combien il est nécessaire à la croissance et au développement harmonieux d’un enfant de satisfaire correctement ses besoins tactiles. C’est sur la base solide d’un toucher respectueux et bienveillant que l’enfant apprend ce que signifie l’intimité, la proximité, la distance et l’éloignement. Quand l’être n’a pu recevoir ce toucher, le massage psycho-corporel est particulièrement adapté au chemin de réparation.


Source

D’après Ashley MONTAGU. La peau et le toucher. Un premier langage. Éditions du Seuil. 1979 – Édition originale Touching : The Human Significance of the Skin. 1971.

Illustration mise en avant : Œuvre de Gustav Klimt


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